Ce blog est une histoire, mon histoire. Il est aussi ma manière d'apprivoiser ce qui m'arrive actuellement.

Si vous arrivez en cours de route, je vous conseille de commencer par le tout début, comme dans toute histoire...
Personnellement, je n'en connais pas encore la fin!

Si vous êtes déjà venu, vous pouvez faire votre choix dans "Le récit pas à pas".

vendredi 15 mars 2019

Milk Shake

Le 16 août, c'est l'opération.

Me voilà, chaussée des bottes massantes, en route vers la salle.
Albert tente un:
"Quatre vingt quinze fois sur cent,
la femme s'emmerde en baisant..."
comme pour se rassurer...

Je reste en stand-by un certain temps...
Arrivée dans la salle d'opération, on me place la perfusion, l'anesthésiste vient... Je suis stressée malgré les deux sedistress pris plus tôt...
Je m'endors, malgré moi...

J'ai été tirée d'un rêve. J'ai demandé à ce qu'Albert vienne ou, au minimum, qu'on le prévienne...
Onze heures d'opération... Trois heures en salle de réveil, et deux pochettes de sang, une pochette de plasma...

Pendant ce temps là, le vécu d'Albert:
Quand j'arrive à la clinique il est cinq heure et demi. Et là, en fonction des heures qu'on m'a dit que durait l'opération, je m'attends à te voir dans la chambre.
C'est une déception: tu n'y es pas. Je retourne vite à l'accueil du couloir et je dis aux infirmières:
-" Qu'est ce qu'il se passe ?
- Qu'est ce qu' il y a ?
- Ben quoi, qu'est ce qu'il y a ? Ma femme est partie à sept heure et demie, ça fait dix heures qu'elle est partie et toujours pas de nouvelles ?
- Mais ça va arriver, Monsieur !
- Madame s'il vous plait, ça fait dix heures qu'on l'a opérée, où est elle ? Je veux savoir. Vous pouvez me le dire ?
- Elle est toujours en salle de réveil.
- Ha ! Mais sortie de l'opération ?
- Ha ben normalement oui.
- Comment normalement oui ?
- Écoutez monsieur à mon avis - elle regarde sa montre sur sa blouse, et elle me dit - à mon avis d'ici un quart d'heure elle devrait être là."
Je broque dans la chambre. Je m'assieds sur la siège tout près du radiateur mais je ne sais pas rester là. Donc je reviens tout de suite dans l'alignement du couloir pour te voir.
Je suis là comme un gros con. J'attends.

Il y a un quart d'heure qui se passe et rien...
Mes yeux sont en permanence dirigés vers le couloir et vers la nana puisque là, à l'endroit où je suis, je la vois à son bureau.
Après une demie heure, je retourne près d'elle.
-"Vous m'aviez dit un quart d'heure.

- Oh monsieur, ce n'est pas à un quart d'heure près !
- On voit bien que vous n'attendez pas !
- Ecoutez monsieur il faut faire confiance...
- Faire confiance à qui ? Je n'ai même pas un nom, je ne sais pas où elle est... Je ne sais rien. Rien! Je ne sais même pas quel étage ? Il y aurait le feu dans l’hôpital maintenant, où est ce que je dois aller la chercher ? J'en sais rien moi!"
Je sens mon adrénaline qui commence à prendre forme. Je me remets dans le couloir. Il est six heure et toujours rien.
Pas possible. Ce n'est pas possible!!!
Je retourne là et je dis :
-"Ecoutez s'il vous plaît: au moins téléphonez là bas pour voir si tout va bien: il y a dix heures trente qu'elle est partie, je veux savoir où elle est!

- Monsieur, elle est toujours en salle de réveil.
- Téléphonez pour savoir si tout s'est bien passé !
- Monsieur, je ne sais pas avoir accès comme ça.
- Comment vous ne savez pas avoir accès comme ça ? Donc elle est isolée du monde? C'est fini elle est partie là bas, on lui retire un pied, on lui met une oreille dans la tête et puis on lui bourre dans la bouche, on la recoud etc... Et moi je reste là comme un gros con?
- Monsieur! Allez! Allez! Ne paniquez pas!"
J'attends encore. Après une demi heure moi j'en peux plus c'est fini. Il est sept heure trente. Je suis au bout: ça fait douze heures que tu es partie.
-"Mademoiselle, je vous ordonne de téléphoner pour savoir ce qui s'est passé. Je ne vous ennuierai plus mais téléphonez.
- Bon ça va. Allez vous asseoir!"

Je vais m'asseoir prêt à plonger sur le téléphone pour demander quoi.
Et je la vois. Elle regarde sur le truc.
-"Mme Vandeghinste, où en est elle?
Et elle reste comme ça avec sa main sur le truc.
-"Ha ?... Ha ?...?...?"
Comme ça mais avec sa main qui descend tout doucement...
-"Ha bon, oui... oui..."
Je me dis merde qu'est ce qui se passe?
Elle raccroche. Elle se lève. Elle vient vers moi et elle me dit:
-"Restez assis, Monsieur."
Je ne sais pas si tu te rends compte. Ça fait douze heures que tu es partie et elle me dit "restez assis". Je vais lui retirer sa culotte, hein moi. Ça peut pas continuer. Rester assis, pourquoi?
-"Ben voilà écoutez... Il y a eu un petit problème mais ça va: ils ont su la récupérer."
Véridique, hein, ce que je te raconte. Ils pourront dire que c'est pas vrai, moi je te jure que je les regarderai dans le yeux. C'est ce qu'elle m'a dit, hein!
-"Ils ont su la récupérer."
-"Qu'est ce qu'il y a eu ?"
-"Ben voilà... Elle a fait une perte d'anémie - non pas une perte d'anémie une perte de je n'sais nin quoi - mais ça va. Ils ont rappelé les anesthésistes et ils ont pu la récupérer. Il n'y a pas de problème. Tout va bien. Elle va bientôt revenir."
J'ai encore dû attendre au moins une demi heure si pas trois quarts d'heure avant que tu n'arrives.
Je n'en pouvais plus.




Je suis restée couchée, branchée jusqu'au dimanche... Quatre jours entiers...
Avec une pompe à morphine jusqu'au samedi...
Et une sonde urinaire...

Quelle surprise: je ne sens rien... Ni dans le sein, ni dans le ventre... Pas de mal mais pas de bien non plus... Rien... Le vide intersidéral!

Une semaine plus tard, je rentre enfin!
Quelle joie de retrouver mon lit, mon salon, mon chez moi!

Par contre, je ne dors pas bien sur le dos...
Je suis exténuée... Faire le tour du petit jardin et je m'effondre!

Et puis j'ai peur de forcer sur mon bras gauche, peur d'ouvrir la cicatrice ventrale qui me traverse de part en part, peur de perdre mon nombril.

Et le pire: c'est le corset qui gratte que je vais devoir garder encore quelques semaines, ce sont les bas de contentions et les piqûres contre les phlébites hypothétiques...
Et ne rien faire:
regarder le tapis se salir; le linge dans la machine, le pain pas fait à ma façon...

Et puis, Jim Morrison (enfin je crois que c'était lui) avait raison:
"Si on ne devait garder qu'un seul sens, la plupart des gens opteraient pour la vue.
Alors que si nous n'avons pas le toucher nous devenons aussi insensible qu'une bûche de bois.
"
La nuit surtout, ou plutôt au petit matin, j'ai comme un poids mort à la place du sein. Je sens bien qu'il y a quelque chose. Mais c'est à l'extérieur de mon entité.

Je suis paniquée dès que je sens quelque chose de différent dans mon corps.
Une bosse dans le corset.
Mon sein qui est plus dur que l'autre.
Mara qui le cogne...

Le chirurgien trouve mes cicatrices belles.
Moi, je les regarde brièvement avec beaucoup de dégoût.
Je n'aime pas la "texture" de mon nouveau sein.
Je me demande même si je n'aurais pas dû l'enlever bêtement plutôt que de vouloir le reconstruire.

D'ailleurs, est ce que j'ai vraiment eu le choix?

Je n'aime pas mon corps. J'ai même du mal à le toucher. Et Albert, n'en parlons même pas!
Mon moral est en dessous de tout... Il faut dire que financièrement c'est très très dur!
Je fais bonne figure mais je contiens mes larmes.

Et puis, avec le temps, petit à petit, j'ose enlever mon corset. J'ai l'impression de ne pas être stable... ou d'étouffer... ou de me perdre...
Le sein est toujours comme un poids mort.
Mais dans ma tête, de jour en jour, ça commence à aller mieux.

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