Ce blog est une histoire, mon histoire. Il est aussi ma manière d'apprivoiser ce qui m'arrive actuellement.

Si vous arrivez en cours de route, je vous conseille de commencer par le tout début, comme dans toute histoire...
Personnellement, je n'en connais pas encore la fin!

Si vous êtes déjà venu, vous pouvez faire votre choix dans "Le récit pas à pas".

mardi 28 octobre 2014

Le rouleau compresseur

Pour arriver à prendre du recul, j'ai demandé à Albert de raconter ce que j'ai vécu. Son récit ne parle pas de moi à mes oreilles mais bien de quelqu'un d'autre. Et ça m'aide, aujourd'hui, à écrire mon histoire. Voici nos récits entremêlés...
Merci Albert pour ton soutien !


Nous sommes à la veille de la première chimio. Depuis deux trois jours, le regard de Julie est différent. J'ai l'impression qu'elle essaie de rentrer dans un univers qu'elle ne connaît pas encore.
Elle appréhende avec difficulté ce qu'elle va devoir affronter. Elle est allée chez sa kiné quelques jours avant qui lui a dit qu'elle devait prendre la chimio comme une alliée plutôt que comme une chose qu'elle doit combattre. ça l'aide un peu mais malgré tout il y a du doute. Je lis dans son regard que l'approche est difficile.
Elle a décidé aujourd'hui de partir dans le bois. Elle a envie d'aller rencontrer les arbres. Moi j'ai des choses à faire aussi, donc je lui laisse la paix. Elle revient au soir, heureuse d'y être allée, avec dans l'esprit cette communion qu'elle a pu avoir avec la nature.
Nous voilà « demain ».
Chaque fois qu'elle regarde son visage, elle me regarde. Elle se regarde, elle s'épie. Pour prendre bien connaissance de ce qu'elle est par rapport à ce qu'elle va devenir : elle n'a aucune idée des changements qui vont être opérés sur son visage, sur son corps. Elle est attentive à ce qu'elle est.
Je la vois... inquiète. Mais elle crâne. Elle crâne terriblement.

Nous appréhendons ce moment là. Nous passons d'abord pour prendre les tickets. Prendre les tickets c'est un peu prendre l'autorisation d'aller se faire guérir ou, pour ceux qui ne le prennent pas comme ça, prendre l'autorisation d'entrer dans la bataille. On prend les tickets, on met au poignet de Julie un petit bracelet.
Et chaque fois elle me regarde comme pour m'interroger :
« Alors est ce que tu vois déjà la différence? Qu'est ce que tu vois ? Qu'est ce qui se passe ? Est ce que je suis toujours moi ? Est ce que tu as le même regard sur moi ? Regarde moi bien pour me dire si il y a quelque chose qui change... Promets moi d'être avec moi. Promets moi... » Enfin bon, des interrogations à n'en plus finir.


Le lundi 4 août, je suis confiante dans ce qu'il va m'arriver. Un peu anxieuse aussi. Mais je suis prête. Quand j'arrive à la clinique, on me donne un petit carton vert avec un numéro et un bracelet rouge. Je ne sais pas quelle attitude prendre. Je ne suis pas à l'aise. Je tiens le nez rouge que j'ai reçu du voisin d'Albert dans la main. Je le mets aussi, un peu pour rire, un peu pour déstresser mais je ne le garde pas. Le rouler dans mes doigts, dans ma main, ça me fait déjà du bien. Je respire aussi et je me souviens des odeurs de la forêt... 


On arrive à la première salle d'attente. On l'appelle. J'ai envie d'entrer avec elle mais l'infirmière me dit qu'il ne vaut mieux pas. Je reste là tout proche. Et comme ça se fait à porte ouverte, je peux la voir. Je lui fais des grimaces pour la faire rire. Mais elle rit pas bien. Elle ne rit pas comme d'habitude. C'est normal. Et puis la petite infirmière lui dit quelque chose, je ne sais pas quoi. Là dessus, ma Juju va dans sa poche et sort son nez rouge. Elle le met sur son nez. Quand l'infirmière arrive, elle le retire mais elle le garde en main et l'infirmière lui demande gentiment : «  Est ce que vous voulez que je le mette aussi ? »




Après un moment d'attente dans le couloir, je rentre dans la salle des « prises de sang ». Jusque là, je n'y étais allée que pour ça. L'infirmière m'installe sur le fauteuil, elle me fait mettre un masque. Puis, elle voit le nez rouge dans ma main.
« Vous voulez que je le mette ? »
Je la regarde, interloquée. Mais elle est très sérieuse en posant la question. Non. J'ai juste besoin de le tenir pour le moment. Mais je suis très touchée par sa question. Je me dis que tout est possible, tout est faisable. Je suis admirative de cette humanité.
Et puis elle installe une sortie (ou une entrée, tout dépend du point de vue) sur « mon » portacath. Voilà. Je n'ai plus qu'à m'installer dans une chambre.


Julie entre dans une chambre où elle attends sa chimio. Et là, on est avec cette dame que je trouve très bien maquillée et je ne me rends pas compte que les cheveux qu'elle a c'est une perruque : c'est Julie qui va me le faire découvrir. Elle nous dit que voilà ça fait 15 ans ou 14 ans qu'elle est dans le cancer parce que ça n'a pas été traité à temps. Nous nous regardons en nous disant que ouf, Julie n'a pas cette malchance là parce qu'elle, c'est bien traité et déjà, c'est "guéri"...
Les liquides blancs transparents comme de l'eau entrent lentement dans ses veines. On apporte ensuite une poche recouverte d'un papier aluminium parce que le produit craint la lumière et là c'est d'un rouge orange qui en dit long sur la toxicité du produit. Mais Julie est dans un état d'esprit qui... Elle ne sait pas ce qui l'attend. Donc, … 


« Fauteuil ou lit ? »
Fauteuil. Je me sens suffisamment en forme que pour rester assise. Et je n'ai pas envie d'être alitée bêtement.
Me voilà dans une chambre avec une dame occupée dans ses journaux, son i-pad... Branchée à des pochettes. Je dois prendre un cachet, un anti-nauséeux...
Une infirmière vient me brancher une pochette avec un liquide transparent, puis une autre. Et puis encore une autre avec un liquide rouge... Je regarde descendre le liquide dans le tuyau avec appréhension... À chaque fois, je regarde en détail ce qui se fait autour de moi... Je suis sereine, mais je suis attentive et anxieuse.
Je papote avec la dame. Un peu. Je m'occupe, je laisse passer le temps.
Mon urine devient orange aussi, comme le produit qui est entré dans mes veines.
Vers 17 heures, je suis « débranchée », délivrée de ces pochettes. J'ai un peu mal à la tête mais rien d'insurmontable.


Je vois une Julie qui n'est pas métamorphosée. Qui a un regard franc comme celui qu'elle avait quand elle est entrée. On repasse au bateau et là, ...
Merci ma Juju. Je t'aime.


Nous allons, Albert et moi, sur le bateau. J'y fais notamment une petite sieste. Ensuite, nous rentrons chez moi. Je suis blanche. Blanche partout. J'ai très mal à la tête. Je ne me sens pas bien. J'ai la nausée. Je me couche, je n'ai pas la force de faire autrement.
À la toilette, en voyant mes orteils, j'ai l'impression qu'ils sont transparents tellement ils sont blancs. Et de voir mes orteils avec cette couleur, j'ai peur. J'ai l'impression qu'il n'y a plus de vie dedans...
En pharmacie, il n'y a plus le « litican », anti-nauséeux puissant... Albert est parti à la pharmacie de garde pour trouver autre chose. N'importe quoi qui puisse me faire du bien. Il revient avec du « primperan »... C'est tout ce qu'il a trouvé.
A l'intérieur de moi, j'ai la sensation qu'il y a un raz de marée. Dans mes veines, dans mes bras, dans mes jambes, dans ma tête, dans mon ventre, dans ma poitrine. Partout, je suis envahie par une vague géante. Et puis, dans un moment de lucidité, je réalise qu'un raz de marée est trop « imprévisible »... Hors, la chimio est sensée m'aider. Alors, je l'imagine plutôt comme un énorme rouleau compresseur que je vais devoir apprendre à manier.
Je me sens lourde. Très lourde. Le moindre mouvement, le moindre battement de paupière est difficile. Et puis, dans la nuit hachée, tout à coup, j'ai la sensation qu'un poids s'envole. J'ai la sensation que mon corps retrouve un tout petit peu de légèreté et je me sens un petit peu mieux.


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