Pour
arriver à prendre du recul, j'ai demandé à Albert de raconter ce
que j'ai vécu. Son récit ne parle pas de moi à mes oreilles mais bien de quelqu'un d'autre. Et ça m'aide, aujourd'hui, à écrire mon
histoire. Voici nos récits entremêlés...
Merci Albert pour ton
soutien !
Nous
sommes à la veille de la première chimio. Depuis deux trois jours,
le regard de Julie est différent. J'ai l'impression qu'elle essaie
de rentrer dans un univers qu'elle ne connaît pas encore.
Elle
appréhende avec difficulté ce qu'elle va devoir affronter. Elle est
allée chez sa kiné quelques jours avant qui lui a dit qu'elle
devait prendre la chimio comme une alliée plutôt que comme une
chose qu'elle doit combattre. ça l'aide un peu mais malgré tout
il y a du doute. Je lis dans son regard que l'approche est difficile.
Elle
a décidé aujourd'hui de partir dans le bois. Elle a envie d'aller
rencontrer les arbres. Moi j'ai des choses à faire aussi, donc je
lui laisse la paix. Elle revient au soir, heureuse d'y être allée,
avec dans l'esprit cette communion qu'elle a pu avoir avec la nature.
Nous
voilà « demain ».
Chaque
fois qu'elle regarde son visage, elle me regarde. Elle se regarde,
elle s'épie. Pour prendre bien connaissance de ce qu'elle est par
rapport à ce qu'elle va devenir : elle n'a aucune idée des
changements qui vont être opérés sur son visage, sur son corps.
Elle est attentive à ce qu'elle est.
Je
la vois... inquiète. Mais elle crâne. Elle crâne terriblement.
Nous appréhendons ce moment là. Nous
passons d'abord pour prendre les tickets. Prendre les tickets c'est
un peu prendre l'autorisation d'aller se faire guérir ou, pour ceux
qui ne le prennent pas comme ça, prendre l'autorisation d'entrer
dans la bataille. On prend les tickets, on met au poignet de Julie un
petit bracelet.
Et
chaque fois elle me regarde comme pour m'interroger :
« Alors
est ce que tu vois déjà la différence? Qu'est ce que tu vois ?
Qu'est ce qui se passe ? Est ce que je suis toujours moi ?
Est ce que tu as le même regard sur moi ? Regarde moi bien pour
me dire si il y a quelque chose qui change... Promets moi d'être
avec moi. Promets moi... » Enfin bon, des interrogations à
n'en plus finir.
Le
lundi 4 août, je suis confiante dans ce qu'il va m'arriver. Un peu
anxieuse aussi. Mais je suis prête. Quand j'arrive à la clinique,
on me donne un petit carton vert avec un numéro et un bracelet
rouge. Je ne sais pas quelle attitude prendre. Je ne suis pas à
l'aise. Je tiens le nez rouge que j'ai reçu du voisin d'Albert dans
la main. Je le mets aussi, un peu pour rire, un peu pour déstresser
mais je ne le garde pas. Le rouler dans mes doigts, dans ma main, ça
me fait déjà du bien. Je respire aussi et je me souviens des odeurs de la forêt...
On arrive à la première salle d'attente. On l'appelle. J'ai envie d'entrer avec elle mais l'infirmière me dit qu'il ne vaut mieux pas. Je reste là tout proche. Et comme ça se fait à porte ouverte, je peux la voir. Je lui fais des grimaces pour la faire rire. Mais elle rit pas bien. Elle ne rit pas comme d'habitude. C'est normal. Et puis la petite infirmière lui dit quelque chose, je ne sais pas quoi. Là dessus, ma Juju va dans sa poche et sort son nez rouge. Elle le met sur son nez. Quand l'infirmière arrive, elle le retire mais elle le garde en main et l'infirmière lui demande gentiment : « Est ce que vous voulez que je le mette aussi ? »
Après
un moment d'attente dans le couloir, je rentre dans la salle des
« prises de sang ». Jusque là, je n'y étais allée que
pour ça. L'infirmière m'installe sur le fauteuil, elle me fait
mettre un masque. Puis, elle voit le nez rouge dans ma main.
« Vous
voulez que je le mette ? »
Je
la regarde, interloquée. Mais elle est très sérieuse en posant la
question. Non. J'ai juste besoin de le tenir pour le moment. Mais je
suis très touchée par sa question. Je me dis que tout est possible,
tout est faisable. Je suis admirative de cette humanité.
Et
puis elle installe une sortie (ou une entrée, tout dépend du point
de vue) sur « mon » portacath. Voilà. Je n'ai plus qu'à
m'installer dans une chambre.
Julie entre dans une chambre où elle attends sa chimio. Et là, on est avec cette dame que je trouve très bien maquillée et je ne me rends pas compte que les cheveux qu'elle a c'est une perruque : c'est Julie qui va me le faire découvrir. Elle nous dit que voilà ça fait 15 ans ou 14 ans qu'elle est dans le cancer parce que ça n'a pas été traité à temps. Nous nous regardons en nous disant que ouf, Julie n'a pas cette malchance là parce qu'elle, c'est bien traité et déjà, c'est "guéri"...
Les
liquides blancs transparents comme de l'eau entrent lentement dans
ses veines. On apporte ensuite une poche recouverte d'un papier
aluminium parce que le produit craint la lumière et là c'est d'un
rouge orange qui en dit long sur la toxicité du produit. Mais Julie
est dans un état d'esprit qui... Elle ne sait pas ce qui l'attend.
Donc, …
« Fauteuil
ou lit ? »
Fauteuil.
Je me sens suffisamment en forme que pour rester assise. Et je n'ai
pas envie d'être alitée bêtement.
Me
voilà dans une chambre avec une dame occupée dans ses journaux, son
i-pad... Branchée à des pochettes. Je dois prendre un cachet, un
anti-nauséeux...
Une
infirmière vient me brancher une pochette avec un liquide
transparent, puis une autre. Et puis encore une autre avec un liquide
rouge... Je regarde descendre le liquide dans le tuyau avec
appréhension... À chaque fois, je regarde en détail ce qui se fait
autour de moi... Je suis sereine, mais je suis attentive et anxieuse.
Je papote avec la dame. Un peu. Je m'occupe, je laisse passer le
temps.
Mon urine devient orange aussi, comme le produit qui est
entré dans mes veines.
Vers
17 heures, je suis « débranchée », délivrée de ces
pochettes. J'ai un peu mal à la tête mais rien d'insurmontable.
Je vois une Julie qui n'est pas métamorphosée. Qui a un regard franc comme celui qu'elle avait quand elle est entrée. On repasse au bateau et là, ...
Merci ma Juju. Je t'aime.
Nous allons, Albert et moi, sur le bateau. J'y fais notamment une petite sieste. Ensuite, nous rentrons chez moi. Je suis blanche. Blanche partout. J'ai très mal à la tête. Je ne me sens pas bien. J'ai la nausée. Je me couche, je n'ai pas la force de faire autrement.
À la toilette, en voyant mes orteils, j'ai l'impression qu'ils sont
transparents tellement ils sont blancs. Et de voir mes orteils avec
cette couleur, j'ai peur. J'ai l'impression qu'il n'y a plus de vie
dedans...
En
pharmacie, il n'y a plus le « litican », anti-nauséeux puissant... Albert est parti à la pharmacie de garde pour trouver
autre chose. N'importe quoi qui puisse me faire du bien. Il revient
avec du « primperan »... C'est tout ce qu'il a trouvé.
A
l'intérieur de moi, j'ai la sensation qu'il y a un raz de marée.
Dans mes veines, dans mes bras, dans mes jambes, dans ma tête, dans
mon ventre, dans ma poitrine. Partout, je suis envahie par une vague
géante. Et puis, dans un moment de lucidité, je réalise qu'un raz
de marée est trop « imprévisible »... Hors, la chimio
est sensée m'aider. Alors, je l'imagine plutôt comme un énorme
rouleau compresseur que je vais devoir apprendre à manier.
Je
me sens lourde. Très lourde. Le moindre mouvement, le moindre
battement de paupière est difficile. Et puis, dans la nuit hachée,
tout à coup, j'ai la sensation qu'un poids s'envole. J'ai la
sensation que mon corps retrouve un tout petit peu de
légèreté et je me sens un petit peu mieux.Suivez le lien...
Merci pour ce partage ! Merci à Albert !
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